Aller au contenu

Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sont frères en Notre Mère la Névrose qui est la Madone de ce siècle. Des malades, dira-t-on ! Mais ils sont les malades d’un trop subtil idéal, d’une délicatesse trop docile aux raffinements de l’art, de la musique, de l’amour, du clair de lune, des fards et des piments. Les nerveux ? Ils sont malades d’être trop exquis. Ils expient pour avoir voulu se hausser aussi loin de l’homme primaire que celui-ci est loin des animaux.

Ce sont ces créatures rares qui vivent et souffrent dans les romans des Goncourt. En elles se résume — puisqu’elles sont l’élite — l’histoire du temps, ce temps fiévreux, orageux, nostalgique, que les Goncourt ont enclos dans leurs livres. Ceux-ci sont des monographies sur les milieux parisiens (puisque c’est là que le moderne atteint sa plus significative intensité), comme il y a les monographies de Le Play sur les ouvriers européens. Ce sont des travaux documentés qui évoquent le monde des peintres, celui des hommes de lettres, le peuple, les hôpitaux, les lupanars, les cirques, les salons. Sur chacun de ces milieux, les écrivains ont « collectionné » un à un des documents, comme s’ils n’étaient que les historiens des mœurs ; voilà pourquoi l’anecdote a toujours été réduite au plus strict, puisqu’il s’agissait moins de raconter des aventures que de peindre des créatures contemporaines et de fixer la Vie Moderne.