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Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/57

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soufré d’un orage intérieur, l’air foudroyé d’un Lucifer en habit moderne, comme le Baudelaire jeune peint par de Roy.

Puis voici l’autre portrait, récent, par M. Whistler, où le visage s’est estompé, ouaté. Le bleu très tiède des yeux s’embrume. La moustache aérée s’est fondue avec une barbe courte, en pointe, qui grisonne, et met un floconnement d’hiver au bas de ce visage qu’on regarde comme un reflet, qui semble être vu dans un miroir, vu dans l’eau. C’est le poète comme il subsiste dans la mémoire, déjà en un recul, hors du temps, tel qu’il apparaîtra à l’avenir. À peine un geste de la main plus achevé et qui le rattache encore un peu à la vie, ce geste contourné, d’une inflexion qui lui est particulière pour tenir la cigarette ou le cigare, fumeur continuel qui ne veut pas cesser une minute de mettre de la fumée entre la foule et lui. Ainsi il s’isole, s’éloigne de la vie, appartient tout au Rêve.

« Un homme au Rêve habitué… », a-t-il dit de lui-même au seuil de la conférence — il faudrait dire l’oraison funèbre — qu’il consacra à son fidèle ami Villiers de l’Isle-Adam.

C’est cet homme du Rêve que M. Whistler a exprimé, c’est l’auteur visionnaire, énigmatique, de l’Hérodiade et de l’Après-midi d’un faune, tandis que le portrait de Manet concorde bien