Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/59

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trouve aussi dans Ibsen dont les drames ont également ce « courant souterrain » ; et voilà pourquoi ils captivent à la fois le public ignorant et les artistes. Il y a dans eux, en réalité, deux pièces parallèles : l’une qui semble un drame ordinaire, un drame de la réalité et de la vie, se passe de plain-pied avec les âmes des spectateurs ; l’autre, flottant dans les limbes de l’inconscience, le clair-obscur du mystère, ténèbres animées, brumes où on discerne la vie sous-marine de l’œuvre, où l’on voit comme les racines des actes et qui n’est visible que pour les initiés et les voyants.


Mallarmé, lui aussi, dans ses poèmes a tenté de suggérer le mystère et l’invisible. Or, pour suggérer une chose, il faut surtout ne pas la nommer. Aussi Mallarmé dit : « Je n’ai jamais procédé que par allusion. »

Cela ne va pas toujours sans des obscurcissements, parfois volontaires. Les excessifs raccourcis d’idées et d’images auxquels il se complait créent une optique spéciale. En tous cas, il est arrivé ainsi à faire de la poésie sobre, après tant de délayage et cette emphase déclamatoire, cette éloquence de strophes brandies qui est la mauvaise habitude héréditaire de la poésie française. Voici de la quintessence, le suc essentiel, un sublimé d’art, et, dans un flacon d’or pur,