Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/76

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En des temps meilleurs, l’action fut héroïque et philosophique ; le rêve put se concilier avec elle : ainsi Vamireh, dans le roman préhistorique des Rosny, est à la fois chasseur hardi, guerrier redouté et graveur attendri d’une fleur sur la dent d’un carnivore. David aussi, dans la tribu, tenait en même temps le sceptre et la lyre.

Mais aujourd’hui l’action est médiocre, monotone, et ne peut plus tenter les cerveaux nobles. Baudelaire a noté l’antinomie :

Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait
D’un monde où l’Action n’est pas la sœur du Rêve !

Des romanciers comme Flaubert et les Rosny ont remédié au désaccord. Certaines œuvres, à cause même de leur modernité, semblent correspondre à ce goût secret de l’action. On pourrait dire que Flaubert a véritablement aimé Emma Bovary, s’est passionné pour elle comme si elle avait été réelle et l’eût hanté de sa présence et de ses futiles caresses. Les Rosny aussi ont agi, pourrait-on dire, dans l’Impérieuse bonté, dans Marc Fane et le Bilatéral, ces romans de mœurs révolutionnaires dont la matière était neuve et restera marquée de leur empreinte. Ils s’y dépensèrent, y vécurent de la vie même de leurs personnages ; et d’imaginer les harangues enflammées de ceux-ci dans les réunions publiques, ils éprouvèrent sans doute la