Page:Rodenbach - La Belgique, 1880.djvu/19

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Voilà les moissonneurs, la race aux fortes mains,
Qui, saluant au seuil des fermes les aïeules,
Ramènent en chantant, le long des grands chemins,
Les pesants chariots, touffus comme des meules.

Soudain voici venir dans son harnais de fer
Ce coursier attelé qui flamboye et qui crache
Et, menant son cortège avec un bruit d’enfer,
Déroule sa fumée au vent comme un panache,

Tandis que sur ses flancs deux hommes, noirs démons,
L’excitant, le faisant hennir par intervalles,
Le poussent à travers les entrailles des monts
Jusqu’au seuil des hameaux et des cités rivales.

Et voici que les mots, pour qu’ils soient entendus,
Prennent une aîle et vont tout à coup par l’air libre ;
Le télégraphe, avec ses fils droits et tendus,
Semble une lyre en fer où toute langue vibre.

Ainsi nous débrouillons chaque jour les secrets
De l’Inconnu, ce sphinx qui rêve et nous regarde ;
Et dans l’armée humaine assiégeant le Progrès
Nous sommes les premiers, nous formons l’avant-garde.