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Page:Rodenbach - La Jeunesse blanche, 1913.djvu/105

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SOIRS DE PROVINCE


Une autre encor disait : « On vient d’abattre l’arbre
Dont le bois doit servir à faire ton cercueil. »
Puis une autre : « Vivants, pourquoi tout cet orgueil ?
La chair est une argile et les cœurs sont du marbre. »

Une cloche pleurait dans l’air endolori :
« Il aimait une femme aussi fausse qu’impure ;
Mais elle avait grand air dans son col de guipure.
Un soir, il se tua pour elle. Elle en a ri !… »

Une petite cloche au travers de la brume
Chantait : « Les enfants morts sont très heureux ; et j’ai
Le soupçon qu’au printemps, quand ils ont voyagé,
Leurs âmes ont l’odeur dont le vent se parfume. »

D’autres disaient encore : « Oh ! les cœurs transpercés,
Les âmes se cherchant en fuites éternelles !… »
Et ces rumeurs, comme un appel de sentinelles,
Montaient lugubrement des clochers dispersés !

Les derniers carillons dans le vent froid qui passe
Faisaient un bruit de clés énormes, comme si
Un noir geôlier marchait au fond du ciel transi
Pour s’en aller fermer les portes de l’Espace !