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PREMIER AMOUR.


Premier amour ! Souffrance heureuse ! Désirs vagues
De lui prendre les mains, plus douces que des fleurs,
À celle dont les yeux ont la couleur des vagues,
Et, feignant d’admirer le chaton de ses bagues,
De rafraîchir sa lèvre à ses doigts cajoleurs.

Délices, au milieu des fêtes et des danses,
De ressembler pour elle aux galants d’éventail ;
Puis, on reste seul, sous les ramures denses,
Charme de chuchoter de longues confidences
À la lune qui rit comme au fond d’un vitrail.

C’est le moment de joie unique où l’on épie
Les yeux encor voilés d’une fausse rigueur,
Où, sans s’imaginer que tout bonheur s’expie,
On tire fil à fil, comme de la charpie,
L’aveu qui guérira la blessure du cœur.

Ce qu’on aime à vingt ans, c’est la tiède atmosphère
De premiers abandons sous un ciel vierge et bleu ;
Qu’importe la liqueur, ce qu’on veut c’est le verre ;
C’est le mal glorieux de monter au Calvaire,
Car on a Véronique et on se sent un dieu !