Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/67

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J’aime mieux succomber en plein vol, en plein rêve,
Comme un aigle frappé qui montait au soleil
Mais qui garde en tombant d’un seul coup sur la grève
Tout l’éblouissement du fantôme vermeil !

Je veux garder aussi la vision céleste
Vers laquelle mon rêve a volé brusquement,
Et quels que soient le temps et l’absence, il me reste
Assez de force au cœur pour mourir en l’aimant.

Vous toutes, vous aussi que j’ai jadis aimées,
Je vous vois accourir pâles, cachant vos pleurs,
Pour montrer le tombeau de vos âmes fermées
Qu’a recouvert l’oubli comme un gazon en fleurs.

Vous me dites : « Pourquoi, pauvre cœur de poète,
Croire que cet amour durera plus longtemps ?
Les amours sont pour vous des papillons de fête
Qui tremblent dans vos doigts fiévreux quelques instants,

Vous nous avez aussi chanté les mêmes choses
D’un cœur non moins sincère, et nous vous avons cru !
Hélas ! pourquoi vouloir éterniser des roses ?
Le vent de l’oubli passe et tout a disparu !… »