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Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/98

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Pendant une heure encor, nous autres nous restâmes
À regarder d’en haut s’exaspérer les lames
Contre les pilotis qu’escaladait la mer.
Moi j’éprouvais alors comme un plaisir amer
À déchiffrer, rêveur, sur ces rampes salies
Les noms, les bouts de vers, les serments, les folies,
Les dates, les croquis, les chiffres enlacés
Qu’ont gravés sur ce bois tant d’amoureux passés
Comme sur les troncs d’arbre au retour des kermesses !

Plût à Dieu que l’amour, moins traître à ses promesses,
Eût dans leur cœur aussi pénétré plus avant.

Pourtant le soir tombait et dans le ciel mouvant
Sur les nuages clairs que la brise balaye,
Rouge, le grand soleil saignait comme une plaie.

Tout à coup j’aperçus le bateau qui rentrait
Toutes voiles dehors, rapide comme un trait,
Incliné sur les flots qui le frangeaient d’écume !…
Et dans l’horizon vague où la nuit et la brume
Éteignaient le soleil sous leur double éteignoir
Cette barque semblait un catafalque noir