Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/121

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Borluut écoutait, un peu étonné, bientôt stupéfait. Il commença à comprendre. Pourquoi n’avait-il rien deviné, durant ces réunions du lundi où certes maints regards, inflexions de voix, nuances dans l’adieu et le serrement de main auraient dû lui faire soupçonner ce qui maintenant s’avérait. Décidément, il était peu clairvoyant dans la vie. Nulle antenne à sa sensibilité. Il ne voyait rien arriver des choses ! Il ne les savait qu’à la minute du contact immédiat avec elles.

Ainsi donc, le charme gothique de Godelieve avait opéré, sans paroles à coup sûr, ainsi qu’opère le charme d’un paysage. Telle était l’impression, calme et profonde, suscitée par elle. On la regardait comme on regarde l’horizon. À vrai dire, il était étrange que ce charme eût opéré vis-à-vis de Farazyn, d’une nature extérieure et lyrique, aimant la mise en scène de soi, le bruit, la domination.

Est-ce que vraiment l’amour naît des contrastes ? Mais, d’abord, Farazyn aimait-il Godelieve, ou n’éprouvait-il qu’un trouble furtif, une émotion à fleur de cœur pour l’avoir trop regardée ce soir-là, un accident sentimental qui n’aurait pas de suites ?

Pourtant Farazyn avait continué à énumérer sa grâce innombrable ; et il conclut :

— Ce serait une femme délicieuse !

— Je crois qu’elle ne se mariera pas, fit Borluut.

— Pourquoi ?

— D’abord, parce que son père serait trop triste.