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IV


Depuis le demi-aveu de Godelieve, son soupir d’élégie, Borluut se sentit envahi par une indicible douceur. Dans le grand désastre de sa vie, quelqu’un avait pitié, quelqu’un l’aimait un peu.

Qu’importent dorénavant la dureté de Barbe, les misères, les scènes, les jours sans sécurité, les nuits sans amour ! Godelieve était présente, attentive, aimante, déjà amante peut-être… Oui ! elle s’était toute divulguée dans cette phrase qui désormais vit en lui, s’accroît comme des lettres sur un arbre. Godelieve l’avait aimé, et elle l’aimait encore. Borluut, à cette idée, frémissait de trouble et d’attente. De regret aussi ! Ils avaient tous deux laissé passer le bonheur entre eux sans l’arrêter. Comment furent-ils aveugles ainsi ? Quel mirage avait égaré leurs yeux ? Tout à coup, ils voyaient clair ; ils se voyaient l’un l’autre, comme à jour ! Mais il était trop tard. Le bonheur est de ne faire qu’un, en étant deux. C’était le rêve désormais impossible.