Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/186

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Alors Godelieve, apitoyée, la dorlotait, l’entourait de châles, promenait ses mains sur elle, et leur contact l’apaisait, l’alanguissait, comme d’un fluide invisible et calmant. Barbe, dès lors, se rendait compte, semblait confuse de ses excès :

— Je ne pense pas ce que je dis.

Godelieve allait aussitôt en aviser Joris pour le consoler, le panser, le ramener, pour essayer un raccommodement qui aboutirait du moins à la paix, sinon au pardon. Mais il refusait d’un ton triste :

— Elle m’a trop fait souffrir. Consciente ou non, elle m’a trop lapidé le cœur !

Godelieve tentait d’agir du côté de sa sœur, risquait des gronderies douces :

— Tu te fais mal et tu fais mal aux autres.

Mais Barbe, mal pacifiée, se cabrait, recommençait ses plaintes et sa colère, se retournait contre Godelieve. Elle prit en animadversion sa sœur aussi, lui imaginant des griefs et des torts, trouvant une intention ou une inflexion blessantes à toutes ses paroles.

— Je voudrais mourir !

Et on la vit tout à coup ouvrir la fenêtre, comme si elle allait se précipiter dans le vide ; sortir brusquement en posant à peine un chapeau sur sa tête, un manteau sur ses épaules, et se mettre à arpenter les quais, d’un pas précipité, vers les canaux et les étangs de la banlieue, avec l’air de vouloir se jeter à l’eau et de choisir un endroit. Joris, prévenu,