Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/199

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de bénir et qui les unissait à jamais dans un amour indissoluble — et légitime !

Godelieve recommença à prier ; elle n’avait plus à défendre leur amour contre le ciel ; l’air en extase maintenant, et de parler avec Dieu de son bonheur.

Parmi les gestes et l’émoi de cet échange d’anneaux, elle n’avait pas pris garde à ses gants qu’elle venait de retirer. Au moment de partir, elle les chercha. Ils étaient tombés à terre. Joris se baissa, les ramassa ; alors il remarqua que leurs chaises reposaient sur une de ces dalles funéraires dont la vieille cathédrale de Saint-Sauveur, en maints endroits, est pavée ; il y avait là, dans cette chapelle, toute une série de tombes plates en laiton et en pierre, quelques-unes avec des effigies noircies, celle du seigneur, celle de la dame, représentées dans les plis immobiles du linceul, avec des grappes de raisin et des attributs évangéliques, tout autour.

Godelieve venait de le découvrir aussi. Une pierre tombale était sous leurs pieds ; on y lisait les dates d’un trépas très ancien, les lettres espacées, incomplètes, d’un nom qui, à son tour, périssait sur la dalle, s’y décomposait, retournait au néant. Funèbres emblèmes ! Comment ne s’en était-elle pas aperçue, en prenant place ici ? Leur amour était né sur la mort.

Pourtant l’impression fâcheuse se dissipa. Leur bonheur était de ceux que même la mort n’assom-