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VII


Dans quel recul immédiat l’amour nous jette ! On est à deux comme dans une île, une île enchantée, où plus rien de l’ancien continent ne préoccupe. On se suffit à soi-même. On rentre dans la vie primitive. Il n’y a plus d’ambition, d’art, d’intérêts, mais une oisiveté triomphante où l’âme, vacante de tout, s’écoute enfin elle-même.

Godelieve se sentit délicieusement heureuse. Nul remords n’était encore né. Elle eut l’impression d’être dans l’amour comme en état de grâce ; et la surabondance de sa joie intérieure lui rappela le temps de sa première communion où, tous les matins suivants, elle continuait aussi à sentir un Dieu vivant en elle. À présent, c’était comme sa première communion d’amour.

Joris, lui, s’emplit des fraîcheurs et des douceurs de la convalescence. Son ancienne existence, les jours noirs, les colères de Barbe, la rancune du bonheur manqué, tout avait disparu, si vague déjà.