Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus que de l’indifférence pour elle. Consciente ou malade, elle l’avait trop fait souffrir, vraiment. Même il ne put se défendre d’une rancune désormais, puisque, impuissante à le rendre heureux, elle venait de briser le cher et dernier amour qui lui fut un baume et un recommencement. Comment se consoler d’être seul encore une fois ? Comment oublier cette Godelieve en allée de sa vie ? Elle l’avait aimé pourtant ; et elle était partie ! C’était irrémédiable. D’abord, il s’enquit d’elle. Personne ne savait le lieu de sa retraite. Peut-être n’était-elle pas entrée au béguinage de Dixmude, comme elle l’avait dit, mais s’installa en quelque autre ville ou bientôt elle l’appellerait. Était-il croyable qu’un amour comme le leur finit si vite et sans cause ? Oui, c’est vrai ; il y avait Dieu entre eux. Depuis l’alarme d’une maternité possible, les avis du confesseur, le péché mis à nu, l’Enfer présagé, Godelieve s’était soudain détachée et reconquise. Mais sans doute que l’absence opérait en elle. Il était impossible que le souvenir du Baiser, en marchant, ne la suivit pas. Et le souvenir redevient vite le désir.

Joris attendit, regretta, espéra des nouvelles et une rechute, un jour, de leur amour. Mais tout était bien consommé. Il le sut par une amie de Godelieve à qui elle écrivit enfin qu’elle s’était faite béguine.

Au-dessus de la vie ! Joris se raffermit, s’exalta, en s’appuyant à ce cri. Il avait été vaincu, entravé deux fois par l’amour. Tous ses chagrins provinrent de là.