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Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/259

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lieve, tout cela qui est inférieur, temporaire, minime et vain ! Il n’avait plus le temps de s’écouter lui-même, de souffrir pour des nuances, de s’occuper de son âme. Il vivait comme hors de lui, éparpillé dans l’Action, ainsi que dans un vaste vent qui le mène. C’était fini, la douleur d’être libre et d’être soi ! Il appartenait déjà aux autres. Il devenait la Foule…

Le matin du jour attendu, qui était jour de carillon, il monta au beffroi, s’exalta dans les cloches qui sonnèrent un chant de guerre, la révolte des vieux bourdons qu’on dérange, le charivari des clochettes qu’on menace, toute une coalition des bronzes contre ceux qui voulaient recommencer un port, ramener dans l’air des mâts où leurs volées trébucheraient.

Puis ce fut un hymne d’espérance ; le thème obstiné de la mélancolie de Bruges plana, déroula par-dessus les toits sa musique grise, tout accordée avec le ciel, l’eau et les pierres.

Le soir arriva enfin, Borluut avait compté sur un grand nombre d’archers de Saint-Sébastien. Il n’y en eut que deux qui le rejoignirent. Quand il entra au local du meeting, il constata vite que peu de monde s’était dérangé. Le populaire n’y était pas. Quelques petits commerçants tout au plus, dont on avait battu le rappel et qui dépendaient de l’administration. En revanche, la ligue de Bruges-Port-de-Mer était présente, une trentaine de membres, dont les chefs entouraient une table, couverte de drap vert, où brû-