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Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/265

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pourrait acheter, rassembler, tous les Primitifs flamands qu’on ne verrait plus qu’à Bruges.

Et il conclut avec force :

— Bruges, ainsi, deviendrait un but de pèlerinage pour l’élite de l’humanité. On y arriverait, quelques jours de l’an, mais de partout alors, des bouts de l’univers, comme à un tombeau sacré, le tombeau de l’art ; et elle serait la Reine de la Mort ; tandis que, dans ses projets de commerce, elle s’avilit et ne sera bientôt plus que la Défroquée de la Douleur !

Borluut se disposa à se rasseoir. Farazyn, pour couper l’effet de cette péroraison, la clôtura par une exclamation :

— Raisonnements d’artiste !

Artiste ! C’est bien le mot qu’il fallait là, louange hypocrite, couronne de dérision ! Artiste ! l’épithète d’ironie définitive et qui suffit, dans cette vie provinciale, à disqualifier.

Farazyn le savait bien et frappa juste. Il y eut des sourires contents sur la face de l’échevin qui présidait et des autres promoteurs de l’affaire. Quant aux assistants, altérés d’avoir fumé, las des longues harangues, taciturnes sur les bancs alignés, n’ayant pas compris grand-chose à ces statistiques ou à ces périodes, impatients de regagner leurs demeures closes, ils attendaient.

Personne ne dit plus rien. Après une minute de vaste silence où l’on entendit palpiter les maigres lampes charbonnant, la séance fut levée.