Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/27

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quelques noms de rues, comme, à Bruges, la rue des Espagnols ; des enseignes de cabaret ; et, çà et là, une Maison Espagnole avec une façade à pignons, des vitres glauques, un perron d’où la mort souvent descendait. Et c’est tout. Bruges est intacte, vous dis-je. Ce n’est pas comme Anvers qui, elle, ne fut pas violée par son vainqueur, mais l’a aimé. Bruges est l’âme flamande intégrale ; Anvers est l’âme flamande occupée par les Espagnols ; Bruges est l’âme flamande restée à l’ombre ; Anvers est l’âme flamande mise au soleil étranger. Anvers dès lors, et maintenant encore, fut plus espagnole que flamande. Son emphase, sa morgue, sa couleur, sa pompe, sont de l’Espagne ; et même ses corbillards, termina-t-il, couverts d’or et comme des châsses.

Tous acquiescèrent, tandis que Farazyn parlait ; il était vraiment la voix de leurs pensées, et il avait, en discourant, un lyrisme contagieux, un grand geste qui semblait chaque fois cueillir quelque chose tout à coup mûr en eux…

— Il n’y a, du reste, ajouta Bartholomeus, qu’à comparer le génie de leurs peintres : Bruges eut Memling, qui est un ange ; Anvers eut Rubens, qui est un ambassadeur.

— Et leurs tours donc ! renforça Borluut. Rien ne renseigne plus exactement sur un peuple que ses tours. Il les fait à son image et à sa ressemblance. Or, le clocher de Saint-Sauveur à Bruges est sévère. On dirait une citadelle de Dieu. Il n’a voulu être que