Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pas une minute, il ne voulut s’arrêter à la pensée que ce serait pour lui la délivrance. Chaque fois, il l’écarta avec effroi, comme l’idée d’un crime, comme si lui-même songeait à pousser Barbe par la fenêtre ou dans l’eau.

D’ailleurs, que ferait-il dorénavant, si tout à coup il était libre ? Il n’en serait que plus seul. C’était bon avec l’amour de Godelieve, mais elle aussi l’abandonna.

« Si Dieu avait voulu ! » La petite phrase ancienne rechanta en lui, accourut des horizons de sa mémoire, plana, pleura. Où était Godelieve à cette heure ? Que faisait-elle ? À quoi pensait-elle ? Pourquoi l’avait-elle délaissé ? Maintenant que la ville venait de le disgracier, il aurait pu partir avec elle, tout quitter, recommencer sa vie ailleurs !

Il n’avait supporté les colères de Barbe, son foyer morne ou tumultueux, toute son existence d’angoisse et de chagrin, que par amour pour son œuvre, parce qu’il était lié à elle, n’aurait pas pu vivre autre part, eût senti partout l’atteinte des tours, se sentait incapable de quitter Bruges. Aujourd’hui, c’est Bruges qui le quittait.

Hélas ! Au moment où ils auraient été affranchis, libres de partir, Godelieve n’était plus là.

« Si Dieu avait voulu ! » Joris sentit lui revenir le regret de Godelieve. Il alla rechercher dans la tour la petite phrase d’élégie qui, naguère, montait avec lui, le précédait dans l’escalier, redescendait à