Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/289

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muette, où un peu d’herbe entre les pavés serait clémente aux pieds nus de Godelieve.

Le dimanche, à quatre heures, la procession s’ébranla. Les cloches sonnèrent à lentes volées, aux clochers des paroisses. Une rumeur monta de la ville, comme le bruit d’une écluse ouverte quelque part.

Borluut attendait à un carrefour écarté. Il n’y avait là qu’un peu de peuple, espacé et recueilli.

Quant à lui, un grand émoi l’agitait, une angoisse nerveuse qui l’empêchait de tenir en place, et par instants contractait, immobilisait son cœur, comme une bête mystérieuse, captive en lui.

Ainsi la minute venait qui devait venir. Tout arrive si vite, sauf le bonheur ! Il allait revoir Godelieve, mais si changée sans doute, si différente sous la cornette cachant ses cheveux, et déjà comme une autre.

En supposant qu’il pût la découvrir, en effet, et qu’elle s’aperçût de sa présence, comment la reprendre, l’arracher à la volupté de la pénitence, la désenlacer de la Croix qui ouvre aussi des bras ?

Joris n’espérait guère, songeait qu’il n’était venu ici, sans doute, que pour prendre conscience de l’irrémédiable.

Un cri d’or déchira l’air ; il y eut de petits remous dans la foule. La procession s’avança.

Des hérauts, en costumes du Moyen Âge, pourpoint et chaperon, soufflaient dans d’aigres trom-