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Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/296

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Au bord des trottoirs, les femmes du peuple pleuraient.

Joris aussi était ému par la violence crue, la sincérité du spectacle. Il en avait presque oublié Godelieve, et qu’il n’était venu là en pèlerinage que pour la revoir, fût-ce une minute, dans cette procession où les pénitents, à la suite du Christ, portent aussi des croix.

Voici qu’ils apparurent, fantômes en deuil et humiliés, spectres aux seuls yeux lumineux. C’était tragique : un long convoi d’ombres. Cette fois, tout le silence avait afflué. Plus un bruit ni un cri ! Un silence plus sinistre d’être noir. Il y a le silence blanc des ouvroirs de béguines ; il est doux. Ici, un silence noir qui épouvante, glisse comme de l’eau, est plein d’embûches autant que la nuit. D’abord on ne distinguait qu’un enchevêtrement de croix, tous les bras levés des croix d’un cimetière. Chacune avait son mort.

Des centaines de pénitents et de pénitentes marchaient, tous pieds nus sur le dur pavé, n’ayant que ce rappel d’humanité sous les robes de bure qui les faisaient anonymes et semblables. Pourtant les yeux brillaient, brûlaient dans les trous de la cagoule. C’étaient les feux follets de ce marais de péchés. Seuls quelques visages s’offraient à découvert, ceux des pénitents appartenant à des Ordres religieux, parce qu’il était impossible de revêtir la bure et la cagoule par-dessus leur froc de moine ou leur cornette de religieuse, qu’il ne fallait jamais quitter.