Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/300

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À ce moment, un spectacle de paradis éclata, qui lui fit honte. C’était la procession religieuse dont la procession des pénitents est suivie, et qu’il n’avait pas vue la première fois. Des mousselines blanches frissonnèrent, féerie d’aube après l’orage et les cagoules nocturnes. Vierges, congréganistes, enfants de chœur en robes rouges, lévites, clergé aux dalmatiques d’or qui flambaient comme des vitraux… L’air charria une neige de roses, des guirlandes de chants où il y avait le solfège des soprani, le plain-chant des diacres, déchiffré dans les antiphonaires. Et le dais parut, parmi des porte-flambeaux, des encenseurs qui agitaient leurs urnes d’argent en un cliquetis de chaînettes. Tous les assistants tombèrent à genoux, unis, réconciliés par les rubans bleus de l’encens.

Joris ne s’appartenait plus. Il s’agenouilla aussi, pria, adora, se perdit dans l’acquiescement de la foule, connut une minute toute l’antique foi de la Flandre, oublia Godelieve.

Le soir seulement, quand il réintégra sa chambre d’hôtel, s’apprêtant au départ, il se sentit seul enfin et triste jusqu’à la mort. Les souvenirs du cortège des pénitents lui revinrent. Il n’aurait pas même, lui, le linge de Véronique. Sa destinée était irrémédiable. Il n’avait pas atteint Godelieve. Aucune consolation ne lui viendrait plus. Sa carrière était brisée. Il allait s’en retourner vers son foyer morne. Il vivrait toujours ainsi, entre le regret de