Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/313

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promenant ses mains sur le clavier, il se faisait l’effet à lui-même de cueillir des fleurs, de les arracher, avec de durs efforts, à des tiges résistantes, s’obstinant quand même, complétant sa moisson, saccageant le parterre des cloches, et alors d’effeuiller des corbeilles pleines, des bouquets de son, des guirlandes de fer, sur la ville au cercueil.

Ne fallait-il pas qu’il en fût ainsi ? C’était la beauté de Bruges d’être une morte. Du haut du beffroi, Borluut la voyait tout à fait morte. Il ne voulut plus redescendre. Il l’aima davantage et sans fin. Ce fut désormais pour lui comme une frénésie, comme une dernière volupté. De monter sans cesse au-dessus de la vie, il se mit à jouir de la mort. Danger de s’élever trop haut ! Air irrespirable des sommets ! Châtiment du dédain de la vie ! C’est pour cette raison sans doute, et par un sûr avertissement de l’instinct, qu’il avait cru, quand on lui remit la clé du beffroi, le jour du triomphe, prendre en main la clé de son tombeau.

Dorénavant, quand il s’en revint de la tour, il eut l’impression de sortir de la mort. Quel ennui de revivre ! Et la laideur des visages humains ! L’hostilité des rencontres ! La sottise et les vices affichés !

Le carillonneur de plus en plus erra, désemparé. Il ne sut où aller, n’ayant plus rien à faire, incapable de décider quelque chose ou de vouloir. Il s’ennuyait de la vie reprise, comme Lazare ressuscité et encore