Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/317

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la première fois qu’il y montait le soir. Le gardien des Halles lui remit une lanterne, et il se mit à gravir les marches. La sensation était plus étrange encore que durant le jour. Avec la lumière diurne, il s’était si habitué qu’il montait presque machinalement, entraîné, comme dans un tourbillon calme, par l’escalier tournant. Maintenant, avec l’obscurité de la nuit, superposée à l’obscurité de la tour, c’étaient des ténèbres pires. On ne sentait plus, tout au bout, le blanchissement de l’air entré par une meurtrière, par une fente de la maçonnerie. Borluut trébucha, dut s’aider de la corde lisse, qui sert de rampe, et pend, un peu flottante, enroulée au pilier de l’escalier, comme un serpent à un tronc d’arbre. Le feu de la lanterne éclaboussait les murs. On croyait voir çà et là des taches de sang. Des bêtes fuyaient, qui avaient toujours vécu parmi les ténèbres, et imaginaient cette lueur le tonnerre lui-même, entré dans la tour et dans leurs yeux. Toute l’équivoque du clair-obscur régnait. Le carillonneur voyait son ombre le précéder, puis aussitôt le suivre, se déplacer, monter aux murs, s’écraser au plafond concave. Son ombre était folle. Est-ce que lui-même continuait son ascension raisonnable ?

La réalité revint. Tandis qu’il approchait de la plate-forme, ruissela par l’escalier, comme par une écluse, la rumeur d’eau de la foule sur la Place. Le carillonneur se rappela la même rumeur déjà entendue, le jour du concours public, quand il triompha.