Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/32

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posséder, pour ainsi dire à soi, le haut beffroi, d’y pouvoir ascensionner à sa guise, dominer la vie et les hommes, vivre comme au seuil de l’Infini.

Au-dessus de la vie ! Il se répétait la phrase mystérieuse, la phrase fluide qui semblait aussi s’élancer, tenir droite sur elle-même, symboliser par ses syllabes superposées les marches d’un escalier obscur qui s’accumule et troue l’air… Au-dessus de la vie ! À égale distance de Dieu et de la terre… Vivre déjà d’éternité tout en restant humain, pour vibrer, sentir et jouir par ses sens, par sa chair, par ses souvenirs, par l’amour, le désir, l’orgueil, le rêve. La vie, tant de choses tristes, méchantes, impures ; au-dessus, c’est-à-dire un envolement, un trépied, un reposoir magique dans l’air, où tout le mal fondrait, mourrait, comme dans une atmosphère trop pure.

Donc, il allait séjourner ainsi, au bord du ciel, pasteur des cloches ; il allait vivre comme les oiseaux, si loin de la ville et des hommes, de plain-pied avec les nuées…

Quand il eut traversé la cour des Halles, il arriva à la porte des bâtiments intérieurs. La clé qu’on lui avait remise arracha un cri de fer à la serrure, comme si on la forçait avec un glaive et qu’on la blessait. La porte s’était ouverte ; elle se ferma d’elle-même ; on aurait dit qu’elle était habituée au geste invisible des ombres. Aussitôt tout redevint ténébreux, muet, et Borluut commença de monter.

D’abord ses pieds trébuchèrent ; des marches man-