Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/52

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la Ville, tout voués à ce qu’elle fût belle et à la parer comme une femme ? Il n’y avait pas place en eux pour une passion nouvelle. Et le soir, chez lui, ils étaient trop exaltés à mûrir la Cause, à remuer des projets et des espoirs, à ressusciter en eux des drapeaux, pour faire attention à cette petite vierge silencieuse qu’était, à côté d’eux, Godelieve. Le bruit de son carreau de dentellière, rendant un son d’oraisons, n’était point pour contenter ces cœurs tumultueux qui espéraient un nouveau rugissement du Lion de Flandre.

Van Hulle donc se tranquillisa. Godelieve était à l’abri. Elle resterait sienne. Quant à Barbe, avec sa beauté plus violente, sa bouche colorée et qui promet son beau fruit, peut-être bien qu’elle troublerait un jour quelqu’un. Ah ! si elle pouvait se marier, elle ! Comme il consentirait avec joie ! C’en serait fait pour lui des perpétuelles alertes : humeurs fantasques, colères brusques pour des riens, paroles cabrées, crises et désarrois, durant lesquels la maison avait l’air de naufrager.

Van Hulle frémissait à cette espérance : ne plus vivre qu’avec Godelieve ! Seul avec elle, toujours, jusqu’à la fin ! Vie uniformément calme, si pacifiée, si quiète, où elle ne ferait d’autre bruit, dans le silence, que le tic-tac de son cœur monotone, où elle ne serait, parmi le Musée d’horloges, qu’une horloge de plus, une petite horloge humaine, le visage tranquille de l’Heure.