Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/55

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traîné à l’architecture, non pas comme à un métier ni avec la pensée de bâtir, de réussir, de faire fortune. Dès son entrée à l’académie, dans la première fièvre de ses études, il ne songea qu’à une chose : les utiliser pour la ville, uniquement pour elle — et non pour lui. À quoi servirait d’ambitionner la gloire pour soi, de rêver un grand monument dont on serait le bâtisseur et où on inscrirait son nom pour des siècles ? L’architecture contemporaine est forcément médiocre. Borluut songeait souvent à ce discrédit, à cette décadence de son art, qui se leurre en des archaïsmes et des redites.

Et il concluait toujours de même :

— La faute n’en est pas aux individus. La faute en est à la foule. C’est la foule qui construit des monuments. Un homme, lui, ne peut qu’édifier des demeures particulières, qui sont alors une fantaisie individuelle, l’expression de son rêve personnel. Au contraire, les cathédrales, les beffrois, les palais, ont été construits par la foule. Ils sont à son image et à sa ressemblance. Mais pour cela il faut que la foule ait une âme collective, vibre tout à coup à l’unisson. C’est le cas pour le Parthénon, qui est l’œuvre d’un peuple unanime dans l’art ; pour les églises, qui sont l’œuvre d’un peuple unanime dans la foi. Alors le monument naît de la terre elle-même ; c’est le peuple, en réalité, qui l’a créé, conçu, fécondé dans le ventre de la terre, et les architectes ne font qu’en accoucher le sol. Aujourd’hui la foule n’existe plus en tant