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Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/78

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un plan de conversation ; en ce moment, il l’oubliait tout.

Il se sentit ému, devint sentimental.

— Voilà, longtemps déjà que nous sommes amis !

— Oui, cinq ans, fit Van Hulle, la date est sur ma vieille maison, date de la restauration — et de notre amitié.

La transition était propice. Borluut s’en empara.

— Eh bien, voulez-vous que nous soyons mieux amis, plus unis encore ?

Le vieil antiquaire regardait, les yeux béants, ne comprenant pas.

— Oui, reprit Borluut, vous avez deux filles…

Alors, en une minute, la face de Van Hulle se bouleversa ; une flamme courte courut dans ses yeux.

— Oh ! non… Parlons d’autre chose, fit-il avec vivacité, et comme en proie à un grand trouble.

— Comment ? insista Borluut.

Sans le laisser s’expliquer, l’antiquaire continua, de plus en plus exalté :

— C’est inutile… je vous en prie… D’ailleurs Godelieve n’y songe plus… Godelieve ne se mariera pas… Elle veut rester avec moi… Attendez au moins jusqu’à ce que je sois mort…

Et la figure de Van Hulle se crispait, pleine d’angoisse, d’une désolation infinie.

Sans plus savoir, perdant la tête, comme s’il était seul, il se mit à geindre, à s’épancher tout haut :

— Cela devait arriver ! C’était inévitable. L’amour