Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/84

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reille, qui allait peut-être sortir d’eux, accroître la race.

Ainsi l’amour l’avait restitué à la vie. D’aimer Barbe, il aima moins la ville, et sa désuétude et son silence.

Même quand il monta à la tour, dorénavant, aux heures régulières du carillon, il n’éprouva plus la sensation ancienne de s’élever loin, plus haut, de quitter le monde et de se quitter lui-même, d’ascensionner au-dessus de la vie. Il emmenait la vie, sa vie, avec lui, au sommet… Il ne dérivait plus dans le ciel, avec les nuages… De la plate-forme crénelée du beffroi, il regardait la ville, s’intéressait aux passants, songeait à Barbe, évoquait son teint si mat, son arôme obsédant, sa bouche trop rouge surtout. Là-bas, les toits s’accumulaient, rouges aussi. Il comparait. Les tuiles fanées s’étiolaient en des roses d’ultime crépuscule, en des pourpres de vieille bannière.

Il y avait des rouges fiévreux et des rouges déteints ; des rouges de lumière caillée ; des rouges de rouille et de plaie ; mais tous figés, surannés, posthumes.

C’était comme un cimetière de rouges, au loin, par-dessus la ville grise. Alors Joris cherchait, croyait voir, tout au fond, le seul rouge vivant et en fête de la bouche de Barbe, le piment corrosif qui faisait pâles toutes les tuiles…