Page:Rodenbach - Le Foyer et les Champs, 1877.djvu/29

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Elle songeait aussi, les yeux de pleurs rougis,
À son ancienne chambre, humble et chaste logis,
Et disait : « j’étais mieux là-haut dans la mansarde,
Plus près du ciel d’azur et de Dieu qui nous garde ! »

III.

Mais le chemin du mal est facile et glissant.
Il faut pour s’arrêter un effort tout-puissant.
Rosine, dont le cœur n’avait plus sous la cendre
Qu’une faible étincelle, allait encor descendre…
Elle vint habiter du second au premier ;
On avait fait partir son bon vieux mobilier.
Ce n’était à présent dans ses chambres coquettes
Que lustres et cristaux, vases et statuettes,
Bois de rose ou d’ébène et meubles luxueux.
De fraîches fleurs ornaient ses boucles de cheveux,
L’or brillait à ses doigts, le sourire à ses lèvres…
Il était loin le temps des remords et des fièvres
Et des cuisants regrets qui rongent comme un ver.
Cynique et froide ainsi qu’un démon de l’enfer,
Son cœur n’agitait plus ses ailes de colombe,
Enseveli vivant dans son corps, froide tombe !
Folle grisette hier, courtisane aujourd’hui,
N’aimant que par calcul, par haine ou par ennui,
Elle rendait hideux ce que Dieu fit sublime
Et pour dorer la honte avec l’argent du crime
Étalait dans la ville un luxe éblouissant ;
Mais les mères tournaient la tête en rougissant,
Et les petits enfants s’enfuyaient devant elle
Tant son regard jetait une sombre étincelle !…