Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/23

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Mais soudain la pâleur horrible des phtisiques
Comme un masque de chaux se posa sur leurs fronts,
Et leurs doigts ivoirins cessèrent leurs musiques,
Car les oiseaux fuient l’arbre au bruit des bûcherons…

Je me rappelle tout : les douleurs successives,
Et les déchirements nocturnes de la toux,
Et les tristes regards qu’elles jetaient, pensives,
A travers les carreaux sur le ciel clair et doux.

Je mes souviens encor des dernières sorties
Au soleil, dans un châle épais, à petits pas,
Quand leur visage avait la blancheur des hosties
Et qu’elles se mouraient en ne s’en doutant pas !…

Car elles s’attachaient plus fort à l’existence,
Ne croyant pas qu’on meurt quand on n’a pas vingt ans,
Et qu’on a le cœur bon, et le désir intense
De vivre dans la joie et les fleurs du printemps.

Je me rappelle aussi les suprêmes journées :
Le sang rouge craché sur la neige des draps,
Et derrière le lit les deux Sœurs inclinées
Qui leur tenaient la tête et se parlaient tout bas…