Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/82

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Nous étions au fond d’une vérandah :
Dans des vases peints, sur les étagères
Des bouquets d’œillets et de réséda
Soufflaient leurs parfums parmi les fougères.

Les dames venaient prés de nous s’asseoir,
Frissonnant un peu sous leurs légers châles,
Et nous regardions l’automne et le soir
S’unir tristement dans les lointains pâles.

Une jeune fille au profil plus fin
Que le blanc contour d’un camée antique,
Se dressant debout comme un séraphin
Qu’un artiste sculpte au seuil d’un portique,

Se mit à chanter dans l’ombre du parc :
Sa voix tour à tour était grave et tendre,
Comme un bon archer fait avec son arc
Qu’il doit tour à tour bander ou détendre.

Elle murmura dans l’air palpitant
Les tendres couplets de la sérénade
Que rêva Gounod, comme on les entend
Au pied des balcons, la nuit, à Grenade.