Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée




 

À Albert Delpit.





Les vieux lions sont là, dans leur cage de fer,
Rois vaincus, méditant leurs sombres infortunes,
Au milieu d’un jardin morne et vide, où l’hiver
Fait neiger sur le sol les feuilles déjà brunes.

Ils ont l’abattement qu’on a dans les exils
Et d’un air douloureux, s’allongeant sur les pattes,
Referment à demi leurs yeux voilés de cils
Où brillent par moments des lueurs écarlates.

Jadis ils bondissaient sur les sables ardents
Et, fiers au grand soleil qui dorait leurs crinières,
Dans leur proie enfonçaient les griffes et les dents
Et l’emportaient, sanglante, au fond de leurs tanières.