Page:Rodenbach - Les Vies encloses, 1896.djvu/40

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Telle bouche changée en coquillage inerte
Et tel péché, comme un poisson, qui bouge au fond…
Comment redevenir la Mémoire déserte ?
Mais sans cesse ces mous glissements la défont
Et rouvrent une plaie au fil de la Mémoire.
Sans cesse le passé, fait d’ombres, reparaît
Dans le repos de la Mémoire qui s’en moire.
C’est comme si toujours quelque chose y mourait !
Car retrouver un fantôme d’ancienne joie,
Le spectre d’une rose ou l’écho d’une voix,
C’est les voir mourir presque une seconde fois.

Ah ! tout ce qui subsiste en nous grouille et louvoie ;
Tout ce qui reparaît d’un temps qu’on oubliait,
Déjà si loin, mais qui soudain dans nous remue :
Frôlements, frissons noirs et feuillage inquiet ;
Ah ! ne jamais pouvoir redevenir l’eau nue !
Toujours sentir dans l’eau lasse renaître un pli,
Et quelque forme errante, une ombre fugitive
Être l’inexorable empêcheuse d’Oubli !
Aquarium humain ! Mémoire sensitive !