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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

dans la compagnie de filles ressemblant par leur vermillon et leurs mouches aux pâles courtisanes d’Hogarth. Ce n’était plus là ce parfum asiatique des appartemens secrets du Raincy ou de Saint-Cloud, mais une odeur fumeuse comme celle des tavernes de la Hollande ; et cependant le duc ne craignait pas de la braver dans cette impure compagnie. Achetant quelques bijoux de menue joaillerie, il les attachait lui-même au cou des marins de Philadelphie, de Gersey, de Guernesey, qui venaient rendre compte mystérieusement à Ducrest du transport des grains… Aviné, chancelant, il n’était bientôt plus en état d’écouter ce qui se passait autour de lui ; les femmes des matelots, les cheveux épars, se ruaient sur lui comme des bacchantes. Pendant ce temps il faisait écrire en France que c’était la cour qui voulait affamer le peuple, et envoyait elle-même à l’Angleterre ces redoutables approvisionnemens.

C’était surtout dans le quartier de Wapping, le rendez-vous de tous les marins, que le duc ne rougissait pas de s’attabler, non pas comme Henri V, qui était venu dans ce même lieu pour s’y amuser de la compagnie de son hôtesse et boire le vin de maître Pistol, mais comme un conspirateur de bas étage, le front soucieux et tourné vers la muraille… Une nuit que le chevalier s’était attardé dans les rues de Londres, il aperçut dans ce même quartier de Wapping, devant la taverne du Vieux-Commodore, alors fermée, un homme en manteau qui semblait embarrassé du chemin qu’il devait tenir… Deux constables à cocardes allaient le saisir, car il demeurait seul dans