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L’IDOLE ABATTUE.

Les hommes que le chevalier rencontrait ne parlaient plus de maîtresses et de soupers, mais bien de tiers-état, d’émeutes, de disette et de tribune. Les publicistes avaient remplacé les marquis de l’Œil-de-Bœuf ; les poëtes eux-mêmes cédaient le pas aux aligneurs de phrases et de doléances politiques. Le chevalier avait laissé Paris barbouillé de tabac d’Espagne, il le retrouvait taché d’encre.

Toutefois, un tel spectacle l’eût affligé médiocrement s’il n’eût participé lui-même à l’incroyable déclin de ce règne. Devant ce ciel gros d’orages et ces préoccupations sévères, que vouliez-vous que devint un homme curieux seulement de charmer, un beau, glorieux d’avoir traversé son siècle en lui faisant subir son bon vouloir en fait de modes ? Quel comédien aimé du public eût pu lutter contre Mirabeau, le grand acteur, Mirabeau dont la voix remuait cette pâle société ? Il y avait un personnage que le chevalier rencontrait partout, c’était le comte de Mirabeau, c’est-à-dire la passion et la fièvre du jour en personne, renommée terrible qui ne laissait personne l’approcher ou vivre seulement autour d’elle ; sorte de génie fatal qui, comme l’antique Minotaure, dévorait tout ! Ce fut devant ce colosse que Saint-Georges sentit surtout je ne sais quelle crainte et quelle angoisse ; il lui sembla que du jour où Mirabeau avait secoué sa torche à la tribune et déchaîné les plus monstrueux démons contre la société, il n’y avait plus en France de règne possible pour l’élégance et la grâce. À cet imposant athlète avaient déjà succédé en effet de misérables démagogues, sinistres corbeaux de nuit qui venaient