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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

dans ses beaux jours, se promenait en barque avec Mmes de Montespan et de la Vallière, transformée tout d’un coup en un immense parquet de cristal. La neige couvre de sa blanche broderie les plates-bandes et les gazons du jardin ; le tapis vert est poudré à frimas comme un conseiller de la cour des comptes. Les statues, les sphynx, les groupes du Puget, les marbres de toute espèce épars sur les pelouses, sont couverts d’une couche d’émail et d’albâtre. On se rappelle involontairement les peintures d’Ostade et les beaux lacs glacés de la Hollande en voyant ce monde en manchons, en chars, en traîneaux, qui égaie de ses mille couleurs bariolées cette nappe éblouissante. Çà et là quelques plumes éparses d’oiseaux et des gouttes de sang rougissent la neige ; ce sont de pauvres mésanges ou des moineaux francs que les chats alertes et cruels du suisse de l’orangerie ont déchirés la nuit, pendant qu’ils bravaient en chantant sur la neige la rigueur de la saison.

Placé en face de l’allée principale, le grand canal reçoit en ce moment quelques rayons fugitifs de soleil ; il s’est vu envahir en un clin d’œil par une foule de patineurs, de dames traînées par des chevaux marins et des cygnes dorés que poussent leurs laquais. Vous diriez presque une représentation de l’Opéra. Les hommes sont pour la plupart en habits à insectes, en culottes vert-céladon ou en redingotes à brandebourgs. Les femmes portent des polonaises et des circassiennes ; il y a des bourgeoises qui, pour plaire à la reine, ont fait revivre sur leurs têtes les fleurs et les plumes qu’elle a quittées. Il est impossible