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LE CHIFFRE DE LA REINE.

Il avait mis un frac velours ponceau, sur lequel se pavanait par derrière une large bourse noire ; l’habit était semé de douze boutons qui représentaient, suivant la mode, les douze Césars. Ses deux mains reposaient sur ses genoux, cachées par un manchon à rubans verts ; sa culotte était brune ; des bottines à glands chaussaient son pied. Le nœud de sa cravate blanche avait la largeur d’un nœud d’écharpe ; il avait posé sur le coussin du traîneau son épée et ses patins.

Le traîneau figurait un cygne flanqué de pendeloques de rubis ; ses ailes ouvertes semblaient frémir sous la brise. Le rasoir aigu du traîneau lui fraya vite un chemin, et Joseph Platon, remis de sa chute, le poussa avec toute la vigueur d’un Lapon.

Après avoir fait une ou deux fois le tour du canal, comme pour s’assurer du rang et du nombre des spectateurs, le chevalier chaussa lestement ses patins et courut se mêler aux acteurs de ce passe-temps, dans lequel il n’avait point de rival.

C’était un plaisir pour la haute société que d’aller voir patiner Saint-Georges, tant le chevalier avait su perfectionner cet art frivole. La guirlande de spectateurs qui entourait la pièce d’eau s’agita tout d’un coup et se pencha comme les épis au souffle du vent : elle le suivit avec une anxiété croissante. Non-seulement il décrivait les plus merveilleux losanges, mais encore il sculptait sur la glace des fleurs, des portraits et même quelquefois un vers entier de Racine. Arrivé devant la reine, il s’arrêta tout d’un coup, tournoya sur lui-même, et d’un coup de patin aussi