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LE CHIFFRE DE LA REINE.

jamais à ce lâche bourreau ! Mais alors pourquoi m’avoir appelé, pourquoi me regarder encore ici-même avec ces yeux qui décident de la destinée d’un homme ? Madame, je tombe suppliant à vos genoux… Si vous me croyez l’ami et le confident du duc, faites-moi reconduire où l’on m’a pris ; si vous doutez de moi, ne me forcez point à demeurer devant vous. Hélas ! il n’est que trop vrai, je n’appartiens à vous que d’aujourd’hui. Mais ne me repoussez pas, car je sais tous vos destins !

— Je veux croire à vos paroles, monsieur, dit la reine en lui commandant avec une affectueuse dignité de se relever ; je me souviens d’ailleurs qu’il y a six ans vous avez fait ici de la musique avec moi… Ici… reprit-elle, dans mes temps joyeux… Et elle cachait mal une larme qui coulait de sa paupière gonflée…

— Oh ! je m’en souviens, continua-t-il à son tour avec une lente tristesse ; je ne touche pas une seule fois un clavecin sans me rappeler aussi ce temps !… Temps heureux où je n’étais qu’un artiste admis dans un concert de la reine ! Il n’y avait alors autour de nous ni souffle empesté ni volcan : la haine et le mensonge n’avaient pas besoin d’être combattus. Moi pauvre, venant du fond d’un désert, je ne croyais pas alors qu’un jour une reine de France me ferait chercher comme un pâle magicien ! Aujourd’hui un nuage cache l’étoile ; aujourd’hui, reine, plus de musique et de calme ; il faut vous résoudre à écouter des terreurs que votre insouciance traitera peut-être de chimères… Merci ! oh ! merci ! mon adorable souveraine, vous qui m’avez fait venir, vous éveillez dans mon âme tout un monde de bonheur ! Pourquoi faut-