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LA VIE D’UN FILS.

passé, dans quel terrible abîme ne retombait pas Mme de Langey !

Maurice venait de se faire l’agresseur d’un homme dont le nom seul aurait glacé le sang au cœur du plus téméraire… Il allait se mesurer avec le plus redoutable tireur que l’Europe connût ; il allait se trouver à sa merci ! Mme de Langey ne pouvait se dissimuler la cruelle portée de cette insulte vis-à-vis cet affranchi de nouvelle date, que le Palais-Royal et tous les cercles de Paris avaient adopté. L’ancien esclave de la Rose allait se relever avec tout l’orgueil de la force et de la haine, le chevalier allait venger le mulâtre !

Dans la perplexité cruelle où la jetèrent ces pensées, la créole avait cru voir se dresser devant elle une ombre sortie sans doute de ses marécages peuplés de crabes couverts de mangliers et de joncs marins qui bordent les eaux infectes de Saint-Domingue… Cette ombre étendait vers elle un bras aussi menaçant que celui de l’Espagnol ; elle avait à la fois les yeux de Saint-Georges et le rire de Tio-Blas.

— Pitié ! avait crié Mme de Langey devant cette apparition sinistre…… Elle tremblait alors comme à cette nuit d’épouvante où l’Espagnol entra dans sa chambre…

L’édifice de ses espérances croulait d’un coup. Ce riche mariage assurait la fortune de Maurice sans que M. de Boullogne eût besoin d’intervenir ; il n’altérait donc en rien la part que le contrôleur général réservait sans doute à Mme de Langey. Maurice adorait Agathe ; il irait vivre, selon les apparences, avec sa femme dans quelque château isolé de la Bretagne,