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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

douleur ? Je l’aimai… Malheureusement ce commerce qui devait se baser sur la reconnaissance n’intéressa que mes sens… J’aimai la négresse comme le maître aime l’esclave. Mon libertinage orgueilleux crut l’honorer. Cette perle de grâce et de beauté fut jetée au gouffre de la débauche ! La vie des seigneurs qui m’entouraient n’était guère propre à me faire considérer sous un autre aspect cette chaîne passagère. Ses soins ne me quittaient pas, moi je m’étais attiédi. Elle ne savait que m’aimer et ramper à mes genoux, elle se gardait de m’irriter et craignait mes violences ; le dévouement de cette créature ne m’était-il pas d’ailleurs prouvé par l’asservissement dans lequel je la tenais ? Je ne tardai pas à mettre ce dévouement à la plus cruelle des épreuves. Je négligeais la négresse, et ma passion pour la marquise m’en éloignait. Je crus à la jalousie affectée de Mme de Langey et résolus d’éloigner une femme qu’elle pouvait rencontrer chez moi… Je bannis de ma présence celle qui m’avait sauvé !

» La douleur de la malheureuse fut sans bornes, peu s’en fallut que la violence de ce renvoi n’altérât même sa raison. Depuis quelque temps, et sans en pouvoir sonder la cause, elle ne s’était que trop aperçue de mon refroidissement : je n’avais plus pour elle que des paroles sévères. Cependant le jour même où je lui fis signifier ce renvoi, je la vis accourir dans mon appartement ; son regard brillait d’espoir, il semblait qu’elle eût trouvé un moyen de m’arracher moi-même au remords et à la honte.

» — Vous ne me bannirez pas, s’écria-t-elle, non ;