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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES

— C’est que vous fûtes heureux ! reprit-il avec un sourire amer.

— Et quand le malheur eût posé son ongle sur moi, Tio-BIas, pensez-vous que j’eusse suivi votre exécrable chemin ? dit le chevalier, qui se rappela les crimes dont on accusait cet homme.

— Vous avez raison de l’appeler exécrable, car il ne vaut pas le diable… cela vient peut-être de la concurrence de métier entre nous et les fermiers-généraux…

— Continueriez-vous ici votre vie de Saint-Domingue ? dit Saint-Georges en se levant de la table où il causait avec l’Espagnol.

— À Dieu ne plaise, chevalier ! nous avons ici trop d’émules dans le beau monde pour que j’y pense… et puis la maréchaussée du royaume de France est plus aguerrie, plus dangereuse que celle de Saint-Marc… On n’échappe pas aux prisons de Paris comme à celles de Saint-Domingue…

— Vous ne vous êtes sauvé de celles-là, Tio-Blas, que pour porter le meurtre et l’incendie à la Rose, pour immoler une jeune fille… On vous accuse de ce meurtre, répondez !…

La figure de l’Espagnol devint blanche comme un linge… ses lèvres tremblèrent, il leva les yeux au ciel.

— Vous avez tué ! s’écria Saint-Georges, malheur à vous ! J’aurais cru qu’un noble, un Espagnol, ne tuait qu’avec une épée !… Que vous avait fait cette innocente enfant, Tio-Blas, et pourquoi vous êtes-vous souillé de cette lâche vengeance ?