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LE PALAIS-ROYAL

forme. Le dix-huitième siècle s’ennuya bientôt de ses éternels marquis, types prévus par la comédie aristophanique de Molière ; ils ne pouvaient plus l’étonner, lui qui avait Richelieu ! Sa condescendance coupable s’en fut chercher d’autres acteurs ; il s’embarrassa peu du lieu où il les ramasserait ; il remua tout, la bourgeoisie, le bas peuple ; rassasié de plaisirs et retenant toutefois sa coupe de ses doigts lassés, il la tendit à qui voulut la remplir, au comédien, paria de sa société ; au villageois, qu’il fit dîner à sa table, comme le marquis de Brunoy ; au mulâtre enfin, qui jusque-là montait derrière l’équipage sans se pavaner encore sur ses coussins !

Ce temps-là fut le temps des engouemens. Quelle activité, quelle fièvre ! Entraînées sur une pente inévitable, les femmes semblaient pressentir cette ère funeste qui vint tout d’un coup glacer le sourire à leurs lèvres roses ; les hommes luttaient entre eux de grâce et de somptuosité. Le règne de Louis XV venait de s’éteindre dans de ténébreuses tristesses de cour ; il fallait revivre et saluer un avènement nouveau, celui, de Louis XVI, qui délivrait le peuple de la tyrannie exclusive des courtisanes en titre ! Le mariage de ce prince était venu rassurer la conscience timorée des censeurs. Marie-Antoinette, plus belle encore que son marbre éclos sous les doigts de Pigal, apparaissait comme une fée secourable à tous les ennuis. Autour d’elle se pressait l’élite des plus beaux jeunes seigneurs, l’élite des femmes nobles et accomplies, étoiles adorables, satellites de cet astre qui rayonnait si doucement tous les soirs sur les gazons de Versailles