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LE DÉPART.

de Saint-Georges un jour pareil, peut-être aussi le poids d’autres réflexions accablantes pour Noëmi, l’empêchaient de se livrer à son travail ordinaire ; c’était fête, d’ailleurs, pour l’habitation ; la cloche annonçant les différens jeux des noirs tintait agile entre leurs mains, Noëmi les voyait passer par bandes devant elle, traînant après eux leurs enfans, qui faisaient rouler entre leurs doigts les bamboulas de la danse. Toutes ces natures, emportées vers le plaisir, ne purent la distraire de sa pensée, elle songeait que parmi tous ces obscurs produits de l’esclavage il n’y avait pas un seul être que le fouet ne pût déchirer inhumainement ; seul entre eux tous, son fils avait échappé, par une protection nouvelle pour la pauvre mère, à ce supplice, à ces plaies ! Que faisait-elle là, devant cette foule réjouie, elle qui ne partageait en rien ses joies ? Des voix secrètes lui murmuraient sans doute à l’oreille d’étranges paroles ; car tout d’un coup elle sortit d’un petit sac de cuir quelques grains de verroterie, et les offrit à un aide de cuisine, homme de couleur, qui lui demanda, en surplus, cinq escalins pour la conduire à Saint-Marc.

Comme il était chargé de rapporter à M. Printemps quelques fruits rares pour la table de la marquise, il avait attelé lui même deux excellens chevaux pris aux écuries de la grande case.

La carriole partit au grand trot, la bouteille de tafia que le valet avait bu l’excitant à ne pas ménager sa monture.