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Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges V1, 1840.djvu/222

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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

« Un de vos regards pénétra cet assoupissement ; mais, chose surprenante ! il m’entra au cœur je ne sais quelle pointe acérée, terrible, quand je me délectai la première fois de votre beauté. C’était à un bal, il y a huit ans. Tous les jeunes gens de la ville vous entouraient ; les créoles, vos rivales, avaient elles-mêmes pour vous des éloges et des sourires. Merveilleusement née pour mentir, vous ne désespériez aucun de ces soupirans : à celui-ci, une fleur de votre bouquet ; à cet autre, une œillade ; au plus favorisé, votre éventail. Vous veniez à peine de sortir de la tutelle de vos parens et d’épouser M. le marquis de Langey. C’était à qui vous débiterait ces galanteries de France, pour lesquelles je ne me suis jamais senti formé ; tous les danseurs bourdonnaient autour de vous comme autant de mouches luisantes. Je vous vois encore : vous étiez l’étoile du bal, chacun se pressait, s’agitait autour de vous. Vous aviez une belle robe blanche à bouffettes bleues, et vos cheveux noirs sans aucune poudre. Je remarquai à votre cou un magnifique collier de diamans ; mais vous eussiez porté de simples perles que vous n’en eussiez pas moins effacé toutes ces femmes. Retiré dans mon coin, auprès d’un jeune homme dont l’œil ne vous quittait pas, je vous regardais sans lui parler, je suivais tous yos mouvemens, quand il me dit :

« — N’est-il pas vrai que ma Caroline est belle ?

« J’éprouvai à ce seul mot une aversion étrange pour ce jeune homme ; il était votre mari. Ce n’était pas à lui, mais bien à un juif de la Pointe-à-Pitre