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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

être ma colère et ne me répondit que par ce seul mot : Partie !

« Ma mauvaise étoile me fit rencontrer quelques-uns de ces jeunes créoles qui m’avaient amené chez vous la première fois ; ils venaient de vous donner une aubade à votre nouvelle habitation située vis-à-vis de celle des Palmiers. Je crus pouvoir me mêler à eux. Je me représentai à vos regards, vous ne me reconnûtes pas. Hélas ! j’étais si changé !

« Il est vrai qu’en ce moment vous étiez alors fort entourée, ces importuns élevaient presque une barrière entre nous deux. Cependant la facilité des mœurs créoles m’était connue ; je tentai dès le lendemain une seconde épreuve, j’eus soin de choisir l’heure de votre déjeuner. J’étais plus enflammé que jamais, je vous avais revue si belle, si admirée !… Il me sembla que je devais oublier ce premier accueil, et je m’empressai de me faire annoncer cette fois par votre mulâtresse, qui, moins oublieuse que vous, s’était rappelé mon nom.

« — Madame, c’est le marchand de San-Yago, vous dit-elle, c’est Tio-Blas.

« Quelqu’un causait alors avec vous à ce déjeuner, car j’entendis les deux voix et une sorte de débat élevé sans doute à mon sujet.

« — Faites entrer, répondîtes-vous peu après.

« J’avançai. Vous étiez assise devant un guéridon couvert de fruits ; un homme d’un certain âge, en habit de cour assez riche, vous faisait une lecture ; d’autres personnes jouaient paisiblement dans le salon. Je vous avoue que je ne fis pas grande attention