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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

grands frais, des glaces, des tableaux, tout ce qui indique le luxe. J’appris aussi que dans ce pays renouvelé sans cesse comme celui-ci par les arrivans de France, c’était à qui se mettrait sous l’aile de votre protection ; que toutes les faveurs, les places étaient presque distribuées par vous dans l’île. Jeunes et vieux, crédules et sceptiques, tout le monde était à vos pieds. Ces récits faits en passant, heurtés, incomplets, m’inspiraient de justes craintes ; je jurai de m’en affranchir en pénétrant chez vous la nuit même, en obtenant de votre propre bouche l’aveu de votre nouvelle existence. Aucun nom d’amant n’était parvenu encore dans cette journée à mon oreille, personne ne s’était chargé de m’apprendre la vérité, soit que l’on me regardât comme un étranger, soit que les mesures à l’égard de votre secret fussent bien prises. Résolu d’en finir, je vous fis remettre un billet tracé au crayon ; je vous y demandais un dernier, un indispensable rendez-vous. L’affront que mon amour avait subi le matin me donnant le droit de l’exiger, je ne m’arrêtais point aux prières. À minuit, votre porte devait s’ouvrir, vous deviez me recevoir sans témoins, comme autrefois !

« Votre lettre ne se fit pas longtemps attendre, et, je dois le dire, j’en fus surpris.

« En posant le pied sur le seuil de votre maison, je me rappelai que j’en avais été presque chassé le matin, j’étais encore sous le poids de cette douleur, j’allais enfin avoir la clef de cette bizarre énigme ; dût-elle me frapper au cœur, la vérité me semblait préférable à l’ignorance de mon sort.