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Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges V1, 1840.djvu/280

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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

— N’importe… c’était mon devoir, je présentai le hideux magot à la marquise. Jamais, mon ami, je ne l’avais trouvé si laid : deux yeux verts d’émail, posés par moi dans ses orbites, donnaient une expression de Caligula à sa figure ; ses pattes osseuses et velues, clouées solidement par moi à la planchette, avaient l’air de vouloir se lever encore sur mon innocent volatil !… La marquise le reçût cependant comme on recevrait un oncle d’Amérique ; Saint-Georges et M. Maurice le placèrent dans sa berline inoccupée jusque-là…

— Il n’y a rien encore de tragique en tout ceci, dit M. Printemps, aspirant une prise de Virginie…

— Attendez. Vous n’avez pas oublié que, durant sa vie, le monstre était friand au dernier degré de tortues fraîches… Il les pourchassait sans s’inquiéter seulement des caïmans de l’Ester. La preuve de ceci, c’est que sa gourmandise a causé sa mort et que le ciel, ou plutôt je ne sais quel aspic intelligent nous en a délivrés. Eh bien ! mon digne ami, croiriez-vous que toutes les semaines, depuis ce jour, mes négrillons battent l’eau de l’Ester pour le bon plaisir de la marquise, chez laquelle ce goût s’est déclaré ? Oui, mon cher monsieur Printemps, son plus grand bonheur est de voir mes nègres pêcheurs descendre pour chercher dans l’eau ces quadrupèdes ovipares dont vous faites de si excellons bouillons, et que, vous le savez, on surprend rarement à terre… Le seigneur Poppo, ou plutôt son horrible squelette empaillé, est habillé le matin de dentelles, comme s’il vivait