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LE NUMÉRO 149.

— Comme si ce gros financier n’avait pas assez de commandeurs chez lui pour exécuter ses ordres !

— Dites ceux de Mme  la marquise, Printemps ! ce mulâtre et sa femme, le 141 et le 142, sont de l’habitation de la Rose. Je ne sais quelle brèche l’énorme lovelace du nom de Gachard a voulu faire à leur ménage, mais le mari s’est fâché, et il a osé dire qu’il empoisonnerait M. Gachard… Pour ce crime, si vous ne le savez pas, je vous l’apprends, l’exposition au soleil et la quarantaine entre eux deux. Vingt coups pour chacun… fit-il en montrant le fouet pendu au mur. Ils se disent mariés, ils partageront.

— Respect à la loi ! monsieur Platon, c’est trop juste ; mais je ne veux pas voir l’exécution : à cause de la mulâtresse… Mlle  Finette, que j’adore comme une reine, est de cette couleur…

— Bon ! vous voilà devenu sensible parce qu’elle vous a donné dans l’œil ! Si mon ex-épouse, Mme Platon, dite Rosette, avait eu le fouet d’un nègre commandeur en perspective, elle n’eût point trahi ses devoirs et fût restée blanche comme le linge qu’elle repassait !

La conversation de ces deux sublimes personnages fut interrompue bientôt par les notes d’un air lent et mélancolique qui s’approchait de leur oreille en franchissant chaque pas de l’escalier. Cet air à deux voix gardait l’empreinte naïve de toutes les chansons créoles ; il eut le pouvoir d’arracher M. Joseph Platon à certains calculs d’agronomie que, malgré sa fièvre, il se croyait forcé d’entamer. La porte s’ouvrit,