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AVANT-PROPOS.

comme son esprit ; ces hommes que vous aviez quittés le soir dans un salon, vous les retrouviez le lendemain au tir, au manège, à l’école de danse, au jeu de paume, habiles et consommés dans cette gymnastique assidue, comme d’Épernon, Caylus, Maugiron et Bussy d’Amboise le furent dans leur temps. Quelques-uns ne faisaient leurs académies que pour plaire à leurs familles : c’étaient les maladroits, les timides, les gens taillés pour être robins, contrôleurs, conseillers au parlement, ou recteurs de bibliothèques. À ceux-là, toutefois, l’académie rendait d’utiles services, témoin ce jeune avocat de Poitiers qui tua d’un coup de bâton sa partie adverse, qui avait voulu l’assassiner par vengeance. D’autres avaient une vocation décidée pour le rôle d’académiste ; ils s’y livraient de dessein formé et ne quittaient pas le manège ou la salle d’armes. De même que Trénis vous demandait après la danse : « Étiez-vous vraiment bien placé ? » les habiles en ce genre vous demandaient : « M’avez-vous vu courir la bague ? faire la voltige sur le cheval de bois, ou danser sur la corde avec Placide ? » Car ils faisaient toutes ces choses-là, nos pères ; et nous, infortunés, nous sommes très-fiers quand nous en savons une seule !

Une remarque qui prouve surtout l’organisation excellente de cette société du dix-huitième siècle, c’est qu’après avoir cessé de plaire, ces hommes à la mode conservaient encore longtemps le privilège de séduire. On ne pouvait avoir commencé ce rôle-là sans figure, mais on pouvait le soutenir sans jeunesse ; cela devenait un droit acquis. Il y avait,